« Je me sens toujours la même »
Je sais bien que le temps fait son travail.
Qu’il grave sur ma peau les preuves de mon passage. Qu’il modèle mes traits, ralentit mes gestes, laisse sa trace au coin des yeux, au creux des mains. Je le vois dans le miroir, parfois. Je le sens dans les silences plus longs, les souvenirs plus proches que certains matins.
Et pourtant.
En vérité, je me sens toujours la même.
Il y a quelque chose en moi que le temps n’effleure pas.
Une voix intérieure qui ne vieillit pas, une sensation de continuité pure, comme si l’enfant que j’étais, l’adulte que je suis, et la vieille femme que je deviens vivaient toutes ensemble dans une même pièce.
Le temps peut bien tourner autour, mais à l’intérieur, c’est stable. C’est là. Un noyau immobile. Une âme qui ne compte pas les années, mais les intensités.
Je n’ai pas d’âge quand j’écoute, quand je ris, quand je cuisine.Je n’ai pas d’âge quand j’aime. Ni quand je crée. Ni quand je rêve.
Les dates sont à l’état civil. Moi, je suis ailleurs.
Ce qui me lie au monde, ce n’est pas le temps qu’on mesure. C’est le temps qu’on sent.Le temps d’un regard, d’un feu de bois, d’un gâteau qui embaume.
Le temps d’une émotion qui revient, intacte, dix ans plus tard, comme si elle n’avait jamais quitté la pièce.
Peut-être que je ne crois pas au temps. Peut-être que je le traverse, comme on traverse un jardin au rythme de son pas.
Peut-être que je suis de ceux pour qui hier et aujourd’hui sont cousus du même fil.
Je sais bien que j’avance.Mais je sais aussi que, sous la peau, sous les pensées, il y a un endroit en moi où rien ne bouge.
Et c’est là que je vis.
